Il y a quelques mois, le MHAB-Musée d’Histoire et d’Art de Bormes recevait une demande exceptionnelle de prêt du Département du Pas-de-Calais pour leur prochaine exposition dédiée au Femmes artistes de la Côte d’Opale (1880-1930).
À cette occasion, c’est l’œuvre de Marie Cazin “Deux pêcheurs d’Equihen” qui a été sélectionnée pour compléter leur exposition. Restaurée par le Département du Pas-de-Calais, à son retour au MHAB en fin d’année, elle pourra intégrer le parcours permanent du Musée de Bormes.
Marie CAZIN Paimbœuf (Loire-Atlantique), 1844 – Équihen, 1924
Fille d’un graveur nantais, Marie Guillet effectue son apprentissage dans l’atelier de Juliette Bonheur, sœur de la célèbre peintre animalier Rosa-Bonheur et auprès du sculpteur parisien Antoine Louis Barye, réputé pour ses animaux en bronze.
Elle rencontre Jean-Charles Cazin au musée du Luxembourg où elle étudie les maîtres modernes et l’épouse en 1868.
Sous le Second Empire, l’espace investi par les femmes sculpteurs est un espace semi-public à l’accessibilité modérée : les églises, les cimetières, les institutions culturelles. Avoir un père et un époux artistes, est un atout important à cette époque pour entrer dans un milieu essentiellement masculin, faciliter l’accès aux Salons et activer le contact avec les critiques et les patrons.
A 25ans, elle est, comme son mari, à la fois peintre et céramiste et mène à ses côtés sa propre carrière, en conservant son autonomie. Tous deux collaborent à la production d’œuvres tournées vers les arts décoratifs. Dès 1869, elle décore des pièces céramiques qui suscitent l’admiration.
Exposée à la Royal Academy de Londres en 1874 et 1878, Marie Cazin expose pour la première fois au Salon des Artistes Français en 1876 en tant que peintre de paysages. A partir de 1882, elle se distingue par ses sculptures et ses motifs ornementaux. Son œuvre monumentale est importante. Ses œuvres sont empreintes du même sentiment méditatif que les toiles de J-Charles Cazin.
Dans le milieu culturel parisien, ses travaux sont reçus avec respect : elle obtient en 1886 une mention honorable pour un haut-relief en plâtre “Fragment de décoration” et reçoit une médaille d’argent à l’Exposition Universelle de 1900. Elle exposera régulièrement au Salon des Artistes Français jusqu’en 1889.
Son œuvre majeure est réalisée 12 ans après «La Sakountala» de Camille Claudel sur un bloc de marbre de Carrare de 600kg illustrant une autre scène de cette légende hindoue.
Elle expose souvent en compagnie de son mari et de leur fils, Michel. En 1897, à Bruxelles lors de l’Exposition Internationale, Marie Cazin présente des œuvres aux influences symbolistes, tandis que Jean-Charles Cazin expose des paysages.
On retrouve dans son œuvre, sculptures et dessins, le thème récurrent de la fonction sociale des femmes. Certaines sculptures de l’artiste renvoient au thème de la mort,
la précarité de l’existence, l’importance du vécu mental, soit des sujets appréciés de l’art symboliste. Odilon Redon évoque le bronze Regret comme « une remarquable réussite dans la promotion d’un art de l’intériorité ».
Signe de reconnaissance de son statut professionnel, Marie Cazin devient sociétaire de la Société Nationale des Beaux-Arts, à sa création, en 1890 et se charge de la section des arts décoratifs. Elle y expose jusqu’en 1914.
Dans les derniers temps de sa carrière, Marie Cazin s’engage dans des commandes pour des créations décoratives pour une école d’infirmière (1910) ou encore des dessins pour les Gobelins (1912-1913).
Dès le début de la Première Guerre Mondiale, la famille s’est retirée à Équihen (aux environs de Boulogne-sur-Mer) dans une maison près de la plage. Cazin y fait construire un grand atelier avec un four pour la céramique. Marie et Michel, sont les modèles de Charles. On retrouve leur portrait dans de nombreuses œuvres (Agar et Ismaël, Judith). L‘esquisse de la jeune femme de profil dans Judith est sans doute celui de Marie qui a posé de nombreuses fois pour les études préparatoires de son mari.
Bien qu’éclipsée par la réputation de son époux, Marie Cazin a su garder son originalité propre pour devenir un sculpteur reconnu au terme d’une carrière très productive. Elle eut l’honneur de voir le Musée du Luxembourg de Paris acquérir un bronze de son buste de “David”.
L’artiste et Bormes
Dès 1891, le couple se partage entre le Var et le Pas-de-Calais et Jean-Charles ne se consacre plus désormais qu’au paysage jusqu’à sa mort en 1901. Marie Cazin consacre les dernières années de sa vie à perpétuer la mémoire de son mari. Elle souhaitait donner à l’État la maison et l’atelier d’Équihen pour réaliser un musée, mais le projet n’a pu voir le jour.
Elle est l’auteur du buste en bronze qui orne la sépulture de son mari, dans le petit jardin de la chapelle Saint-François située au cœur de notre village.
En 1926, après sa mort, sa sœur Célie Heseltine, épouse du peintre et graveur Arthur Heseltine, fait don au musée de Bormes de plusieurs œuvres de son beau-frère J-C. Cazin (le tableau Judith et quelques études). Cette même année, ces dons, entre autres, motiveront la décision du Conseil Municipal pour la création du musée communal. Marie Cazin est enterrée à Boulogne-sur-Mer.